Les donations en démembrement sont elles menacées ?
Les donations en démembrement sont elles menacées par la modification de la fiscalité des donations de sommes d’argent démembrées introduite par la Loi de finances 2024 ? Basile Diot, directeur de l’ingénierie patrimoniale à LaBienveillanceFinanciere répond aux questions soulevées par certains observateurs.
En janvier, nous vous avons alerté du fait que la Loi de finances 2024 avait modifié la fiscalité des donations de sommes d’argent démembrées en supprimant la possibilité de déduire ces sommes de l’actif successoral. Plus récemment, fin septembre, l’administration fiscale a commenté cette modification et discuté son application à certains cas de cession de biens démembrés.
Ces commentaires ont alarmé certains observateurs. Un article paru dans les Echos[i] évoque la crainte que ce changement fiscal augure en réalité d’une remise en cause beaucoup plus large des avantages fiscaux liés à la transmission d’actifs en démembrement.
Cette crainte est-elle justifiée ? Basile Diot, directeur de l’ingénierie patrimoniale à la BienveillanceFinancière nous fait part de son analyse.
Basile, en quoi les donations de sommes d’argent démembrées étaient elles si particulières ?
Pour bien comprendre la spécificité des donations de sommes d’argent, rappelons le principe général des donations démembrées. Le démembrement est la séparation de la propriété en deux droits distincts : d’un côté l’usufruit, c’est-à-dire le droit d’utiliser le bien et de jouir de ses fruits et de l’autre la nue-propriété, le droit de disposer du bien. La donation en démembrement permet ainsi, par exemple, à un parent de donner à un enfant un bien en nue-propriété tout en s’en gardant l’usufruit. Le parent transmet ainsi ce bien à son enfant sans complètement se démunir. A son décès, l’usufruit expire, l’enfant nu-propriétaire devient immédiatement plein propriétaire du bien, qui ne rentre pas dans la succession.
Dans le cas d’une somme d’argent donnée en nue-propriété, l’usufruit est particulier car les sommes d’argent données restent dans le portefeuille de l’usufruitier où rien ne les distingue des autres liquidités. On parle alors d’une situation de « quasi-usufruit », dans laquelle l’usufruitier peut disposer de l’argent comme bon lui semble. Le nu-propriétaire, quant à lui, n’est propriétaire que d’une créance de la valeur de la somme en pleine propriété.
La donation d’une somme d’argent en nue-propriété permettait donc de réduire les droits de donation car ils ne s’appliquaient qu’à la valeur de la nue-propriété, soit, par exemple 60% de la somme donnée si le donateur avait moins de 71 ans, et après déduction des abattements légaux, par exemple 100 000 euros pour une donation d’un parent à un enfant. De plus, de telles donations pouvaient, en théorie, être répétées au fil du temps et bénéficier ainsi plusieurs fois des abattements renouvelables tous les 15 ans.
En toute logique, au décès de l’usufruitier, le nu-propriétaire recouvrait sa créance qui était donc déduite de l’actif successoral.
Comment et pourquoi la Loi de finances 2024 a-t-elle modifié la fiscalité des donations de sommes d’argent démembrées ?
La Loi de finances 2024 a introduit dans le Code général des impôts (CGI) un nouvel article, l’article 774 bis. Ce dispositif met fin à la possibilité de déduire de l’actif successoral les créances de restitution nées de la donation de sommes d’agent dont le donateur s’est réservé l’usufruit. Ces créances sont désormais pleinement soumises aux droits de succession pour le nu-propriétaire.
C’est clairement un dispositif anti-abus qui vise uniquement à mettre fin à une pratique qui n’avait pas de sens d’un point de vue patrimonial. En effet, la donation de sommes d’argent en nue-propriété ne créait aucun transfert d’actif jusqu’au décès. C’était donc une opération fictive qui servait uniquement à réduire les droits de transmission.
Malgré la nature contestable de ces opérations, l’administration fiscale avait toujours échoué dans ses tentatives de les combattre sur le terrain de l’abus de droit.
En supprimant la possibilité de déduire de l’actif successoral la créance de restitution des sommes d’argent données en démembrement, l’article 774 bis n’interdit pas cette pratique, mais il lui ôte tout intérêt fiscal. L’État est maintenant assuré que la transmission des sommes d’argent données sera pleinement imposée, au plus tard à la succession.
Dans les faits, très peu de conseils mettaient en avant ce schéma jugé abusif par beaucoup, et à juste titre selon nous.
Certains observateurs s’inquiètent cependant des répercussions de l’article 774 bis sur d’autres situations de quasi-usufruit liées à des donations démembrées. Partages-tu cette analyse ?
En effet certains observateurs se sont inquiétés de ce qu’on peut lire dans les commentaires de l’administration fiscale récemment publiés sur l’article 774 bis :
«… Le présent I ne s’applique ni [pas] aux dettes de restitution contractées sur le prix de cession d’un bien dont le défunt s’était réservé l’usufruit, sous réserve qu’il soit justifié que ces dettes n’ont pas été contractées dans un objectif principalement fiscal»
Cette référence aux cas de cession d’un bien démembré a inquiété les observateurs. En effet il n’est pas rare qu’un usufruitier qui a donné un bien en démembrement, par exemple un logement ou un contrat de capitalisation, doive le vendre. Il peut vouloir reporter l’usufruit sur tout ou partie du prix de la vente, créant un quasi-usufruit. La question se pose alors de savoir si la créance de restitution du nu-propriétaire sur cette somme d’argent devient imposable aux droits de succession.
On voit ici que le législateur tente d’anticiper une éventuelle stratégie de contournement de l’article 774 bis qui consisterait, par exemple, pour un parent à donner un bien démembré à son enfant, puis le vendre. Le parent transforme ainsi l’usufruit portant sur le bien en quasi-usufruit sur le produit de la vente dont l’enfant nu-propriétaire devient créancier. Dans ces conditions, dit le texte, cette créance n’est déductible de l’actif successoral que s’il peut être prouvé que l’opération n’a pas été faite dans un objectif principalement fiscal.
Les commentaires récemment publiés viennent préciser sur quels indices l’administration fiscale se basera pour déterminer si l’objectif est principalement fiscal ou non :
- La durée écoulée entre le démembrement et la cession : plus la durée écoulée entre la donation et la cession sera longue, moins la dette de restitution sur la somme d’argent résultante sera susceptible d’être regardée comme poursuivant un but principalement fiscal.
- Les motivations patrimoniales de la cession : par exemple, le besoin impérieux de liquidités de l’usufruitier sera susceptible de prouver que la cession du bien démembré n’a pas de motif principalement fiscal.
- La latitude de décision de l’usufruitier : lorsque la décision de vendre est indépendante de la volonté de l’usufruitier, sa motivation n’est plus en cause.
Donc, tu n’es pas inquiet pour les autres formes de donation en démembrement ?
La question n’est pas d’être inquiet ou non. Il faut toujours être vigilant.
Mais l’administration n’écrit pas la loi, sa doctrine peut être contredite en jurisprudence. Il n’y a pas d’opportunité pour le fisc de poursuivre des opérations différentes de la donation de sommes d’argent en nue-propriété grâce à ce dispositif anti-abus. Il n’y a donc absolument rien d’inquiétant et les commentaires ne changent pas les conclusions de notre premier article : il ne faut ni faire des donations de sommes d’argent en se réservant l’usufruit ni essayer de contourner le dispositif anti-abus.
Au plus tard depuis la redéfinition de l’abus de droit comme ayant pour motif « principal » d’éluder ou d’atténuer l’impôt, toutes les stratégies patrimoniales doivent clairement pouvoir démontrer une motivation patrimoniale autre que fiscale.
En conclusion, je vois cet article plutôt comme une clarification. Il enlève tout intérêt à une stratégie fiscale contestable. Il clarifie également qu’il ne s’applique pas à l’usufruit résultant d’une transmission par décès, par exemple l’usufruit du conjoint survivant (articles 757 ou 1094-1 du code civil.). Rien de change de ce côté-là. La dette de restitution reste automatiquement déductible en cas de quasi-usufruit successoral.
[i] « Impôts : L’administration rabote un avantage fiscal sur les successions », Les Echos, 2 octobre 2024.
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