Actualité Patrimoniale LBF – Novembre 2024
Ayant comme chaque mois arpenté le labyrinthe des règlementations qui régissent la gestion de patrimoine, les ingénieurs patrimoniaux partagent leur analyse des sujets suivants : les fluctuations judiciaires concernant la fiscalité du préciput ; un apport non judicieux à une SCI ; la requalification de travaux par un usufruitier en donation indirecte ; la révocation d’un usufruit pour abus de jouissance ; le déblocage d’un PEE par une PACSée ; et le dol dans une cession de parts de société.
Comme chaque mois, les ingénieurs patrimoniaux de LaBienveillanceFinancière ont arpenté le labyrinthe des règlementations civiles, fiscales, sociales et financières qui régissent la gestion de patrimoine. Marie et Sema partagent quelques-uns des sujets qui ont retenu leur attention :
- Nouvel épisode du feuilleton sur la fiscalité du préciput
- Fraude paulienne par apport d’un bien immobilier à une SCI
- Des travaux réalisés par un usufruitier requalifiés comme donation
- L’abus de jouissance peut entraîner la révocation de l’usufruit
- Le déblocage anticipé du PEE en cas de rupture amiable de PACS
- Cession de parts : l’expérience de l’acheteur n’excuse pas le dol
Nouvel épisode du feuilleton sur la fiscalité du préciput
La clause de préciput est une des dispositions qui permettent à un couple de renforcer la protection du conjoint survivant. Grâce à elle, le conjoint survivant pourra prélever certains biens avant le partage de la succession du conjoint décédé (article 1515 du Code civil).
Cependant la fiscalité de cette disposition suscite des débats. Dans notre article de mai dernier « Clause de préciput 2 — Droit de partage 0 » nous avons évoqué plusieurs recours juridiques introduits par des contribuables qui contestaient l’application d’un droit de partage de 2,5% sur l’exercice de la clause de préciput. Dans les deux affaires mentionnées, les Cours d’appel de Rennes et de Poitiers avaient statué en faveur des contribuables. Elles avaient affirmé que la clause de préciput ne constituait pas un acte de partage et qu’aucun droit n’était donc exigible.
Un arrêt récent de la Cour d’appel de Grenoble vient contredire ces jugements. Pour celle-ci, le préciput est bel et bien soumis au droit de partage prévu à l’article 746 du CGI. D’après elle, les 4 conditions posées par la doctrine administrative pour l’application de cette taxe sont remplies :
- Existence d’un acte notarié : le préciput fait l’objet d’un acte notarié, soit dans le contrat de mariage, soit par une clause ultérieure modifiant le régime matrimonial.
- Indivision entre copartageants : le décès entraîne la dissolution immédiate de la communauté et crée une indivision.
- Indivision justifiée légalement : les droits de chacun sont déterminés ou déterminables en fonction des règles légales et de la clause de préciput.
- Véritable partage : la transformation du droit abstrait et général de chaque copartageant sur la masse commune en un droit de propriété exclusif sur les biens attribués grâce à la clause de préciput est un véritable partage.
Par ailleurs, la Cour de Grenoble considère que la mention du Code civil qui stipule que le préciput est prélevé « avant tout partage » ne suffit pas à l’exclure lui-même de la qualification d’acte de partage.
Ce feuilleton fiscal crée une insécurité juridique très dommageable pour les contribuables. On espère qu’il se terminera le 27 mai 2025. En effet, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a sollicité pour cette date l’avis de la Première chambre civile. Celle-ci devra déterminer si le prélèvement préciputaire constitue ou non une opération de partage.
Dernier épisode ? On l’espère…
Source : Cour d’appel de Grenoble, 24 sept. 2024, n°23/01411, Cour de cassation com, 16 oct. 2024, n°23-19.780
Fraude paulienne par apport d’un bien immobilier à une SCI
Dans un arrêt du 29 mai 2024, la Cour de cassation a récemment jugé que l’apport d’un bien immobilier à une SCI peut, dans certaines circonstances, constituer une fraude paulienne.
La fraude paulienne consiste à s’appauvrir intentionnellement, par exemple en transférant des biens à un tiers, dans le but d’empêcher un créancier de saisir ces biens. Si elle est établie, l’acte est sanctionné par son inopposabilité (article 1341-2 du Code civil).
Dans cette affaire, une EURL avait souscrit un emprunt garanti par une caution solidaire de son gérant. A la suite de la mise en redressement judiciaire de l’EURL, un plan de redressement a été établi pour le remboursement du prêt. Pendant l’exécution de ce plan, le gérant a apporté un immeuble qu’il détenait à une SCI qu’il gérait également et a cédé la nue-propriété de ses parts dans cette SCI. En réaction à cette opération, la banque a assigné le gérant et la SCI pour fraude paulienne, sollicitant l’annulation ou l’inopposabilité de l’apport immobilier ainsi que de la cession des parts sociales.
Les juges de première instance avaient rejeté les demandes de la banque, estimant qu’il n’y avait pas d’appauvrissement lors de l’apport d’un immeuble en échange de parts sociales.
Cependant, la Cour de cassation a annulé cette décision, en s’appuyant sur l’ancien article 1167 du Code civil, qui permet aux créanciers de contester les actes de leur débiteur lorsqu’ils nuisent à leurs droits. Elle considère que l’apport d’un immeuble en échange de parts sociales, peut constituer un acte d’appauvrissement. En effet, en remplaçant un bien immobilier facilement saisissable par des titres sociaux plus difficiles à mobiliser, le débiteur complexifie l’accès de ses créanciers à ses actifs.
La Cour a également critiqué le refus de la cour d’appel de considérer la demande d’inopposabilité sans examiner les obstacles à la négociation des parts sociales et le risque d’hypothèques sur l’immeuble qui pouvaient être des éléments d’appauvrissement.
Cet arrêt rappelle que l’apport d’un bien à une SCI ne permet pas de protéger ce bien des créanciers si cet apport intervient après la naissance des dettes. Dans ce cas, l’apport peut au contraire, comme dans cette affaire, être considéré comme une fraude paulienne.
Source : Cour de cassation Com. 29 mai 2024, n°22-20.308
Des travaux réalisés par un usufruitier requalifiés comme donation
Deux affaires récentes nous rappellent les droits et les devoirs des usufruitiers et nus-propriétaires quant à la maintenance d’un bien démembré.
À défaut de convention contraire, il est généralement admis que les dépenses d’entretien d’un bien démembré sont à la charge de l’usufruitier tandis que les grosses réparations incombent au nu-propriétaire (article 605 et 606 du Code civil).
Dans une première affaire récemment jugée en cassation, Madame Z, usufruitière d’un bien immobilier qu’elle avait donné en nue-propriété à ses enfants en 1992, avait financé des travaux importants, valorisant considérablement ce bien. Lors de sa succession, une de ses filles, a contesté l’obligation de rapporter à la succession les sommes investies pour ces rénovations, en arguant que les travaux réalisés relevaient de l’obligation légale de l’usufruitier.
La Cour d’appel a rejeté cet argument. Elle a jugé que le montant des travaux devait être rapporté à la succession de Mme Z. pour la somme de 922 843 €.
La Cour de cassation a confirmé ce jugement. Elle a rappelé que le bien immobilier en question était un ancien logement de garde longtemps désaffecté que l’usufruitière avait rendu habitable.
Parmi les travaux entrepris :
- Des travaux d’aménagements comme des installations électriques, de plomberie, un interphone, la restauration de façade, l’éclairage, le ravalement et la rénovation d’appartements, qui incombaient en principe à l’usufruitier,
- Et des gros travaux qui incombaient normalement au nu-propriétaire.
La cour a estimé que ces travaux n’étaient pas imposés par une contrainte de bail et qu’ils n’avaient procuré aucun avantage personnel à l’usufruitière. En conséquence, elle a conclu que Mme Z s’était appauvrie volontairement et en ayant une intention libérale en faveur du nu-propriétaire. La somme investie pouvait donc être requalifiée en donation indirecte. Elle devait être rapportée à la succession.
En conclusion, la Cour de cassation rappelle qu’un investissement effectué par l’usufruitier, même s’il relève légalement de ses obligations, peut tout de même être considéré comme une libéralité si aucun avantage ne lui en revient.
Source : Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 23 octobre 2024, 22-20.879, Inédit – Légifrance
L’abus de jouissance peut entraîner la révocation de l’usufruit
Une deuxième affaire nous rappelle que le droit de l’usufruitier de jouir d’un bien s’accompagne de devoirs, et notamment celui de l’entretenir, dans le respect des intérêts du nu-propriétaire. Ce principe est fondamental dans les relations entre usufruitier et nu-propriétaire, surtout dans le cadre des successions et des familles recomposées.
Dans cette affaire, un défunt avait laissé pour lui succéder ses deux enfants issus d’une première union ainsi que son épouse, usufruitière de l’ensemble de la succession en vertu d’une donation entre époux. Le litige portait sur un bien immobilier dont la valeur avait considérablement baissé. Initialement estimé à 290 000 euros, il était désormais évalué à 130 000 euros. Les enfants du défunt accusaient l’usufruitière de négligence totale dans l’exercice de son droit, ce qu’ils considéraient comme un abus de jouissance.
La Cour d’appel a prononcé la révocation de l’usufruit en vertu de l’article 618 du Code civil. Celui-ci prévoit en effet que l’usufruit peut être révoqué en cas d’abus de jouissance, soit par des dégradations, soit par un défaut d’entretien.
La Cour de cassation a confirmé ce jugement. Les juges ont considéré que la gravité de la faute de l’usufruitière justifiait cette sanction exceptionnelle.
Cette affaire, comme la précédente, illustre le pouvoir souverain des juges dans l’appréciation des comportements des usufruitiers.
La leçon à en tirer est qu’usufruitiers comme nus-propriétaires seraient mieux avisés de respecter scrupuleusement leurs droits et leurs devoirs respectifs que de s’en remettre aux tribunaux dont les sanctions pourraient entraîner la perte de ces droits.
Source : Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 2 octobre 2024, 22-15.701, Inédit – Légifrance
Le déblocage anticipé du PEE en cas de rupture amiable de PACS
Les conditions de déblocage anticipé (avant le terme de cinq ans) des Plans d’Épargne Entreprise (PEE) sont nombreuses. Comme nous le soulignions dans nos actualités d’août, elles ont même récemment été élargies.
Parmi ces conditions, on compte « le divorce, la séparation ou la dissolution d’un pacte civil de solidarité lorsqu’ils sont assortis d’une convention ou d’une décision judiciaire prévoyant la résidence habituelle unique ou partagée d’au moins un enfant au domicile de l’intéressé. »
C’est dans ce contexte qu’une salariée, à la suite de la dissolution de son PACS, a sollicité un déblocage anticipé de son PEE pour subvenir aux besoins de ses enfants dont elle a la garde. Malgré l’attestation sur l’honneur signée par les deux ex-partenaires, le teneur de compte a rejeté sa demande, arguant que le dossier nécessitait un jugement officiel ou une convention homologuée.
La salariée a alors sollicité le médiateur de l’AMF. Ce dernier a rappelé que le Guide de l’épargne salariale propose des justificatifs usuels à titre de preuve mais que cette liste n’est pas exhaustive. Selon lui, l’attestation sur l’honneur de la garde exclusive devrait suffire, compte tenu des circonstances et de la nature amiable de la séparation.
A la suite de cette intervention, le teneur de compte a accepté de procéder au déblocage exceptionnel des fonds de la salariée. Le médiateur en tire plusieurs conclusions, notamment la nécessité de réviser le guide pour mieux prendre en compte les situations de séparation amiable où des documents juridiques formels ne sont pas toujours produits.
Source : Blog du médiateur de l’AMF
Cession de parts : l’expérience de l’acheteur n’excuse pas le dol
Lors de la cession de parts de société, comme dans tout contrat de vente, le vendeur est tenu de livrer au préalable à l’acheteur toutes les informations lui permettant de s’engager en toute connaissance de cause. La dissimulation intentionnelle d’une information déterminante est un dol qui peut entraîner la nullité du contrat (articles 1137 et 1139 du Code civil).
Récemment, la Cour de cassation a rendu un arrêt à ce sujet.
Dans cette affaire, M. Y contestait la validité de la cession réalisée en 2019 par M. X, invoquant une « réticence dolosive », c’est-à-dire une dissimulation d’informations importantes concernant la société lors de la vente, notamment l’existence de dettes et d’obligations. Il s’appuyait pour cela sur les articles précités relatifs au dol et à la nullité des contrats en cas de tromperie.
La Cour d’appel de Douai avait rejeté cette demande en considérant que M. Y, en tant qu’acheteur expérimenté, aurait dû s’informer davantage sur la situation financière de la société avant d’en conclure la cession. Par conséquent, le silence de M. X sur certaines dettes et obligations de la société n’avait pas à être considéré comme un dol.
Cependant, la Cour de cassation a cassé cette décision. Elle considère que la Cour d’appel a appliqué des critères inappropriés pour écarter l’existence d’une « réticence dolosive ». Le fait que l’acheteur n’ait pas enquêté davantage ne suffit pas à excuser la dissimulation intentionnelle par le vendeur.
La Cour souligne que si un dol est prouvé, l’erreur de l’acheteur est toujours excusable. Et cela, quel que soit son niveau d’expérience ou ses démarches de vérification préalables. Un cessionnaire expérimenté, ayant déjà géré des sociétés, bénéficie donc de l’obligation d’information qui incombe au cédant concernant le passif de la société cédée.
Source : Décision – Pourvoi n°23-10.183 | Cour de cassation
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